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Le potentiel de l’hydrogène est, aujourd’hui, dans tous les esprits : solution directe de décarbonation de l’industrie et de la mobilité, source de réindustrialisation et de création d’emplois non délocalisables, levier d’autonomie énergétique... Éclairage sur cette filière hydrogène aux enjeux multiples aussi bien en France que dans toute l’Europe, avec William Rahain, chargé d’études opportunités business au sein du pôle Stratégie & Innovation de Teréga.
William Rahain – La popularité et le développement de la filière hydrogène est multi-causal, car le sujet se situe au carrefour des attentes ou des interrogations actuelles. Il vient d’abord faire écho à la volonté globale de répondre à une attente forte et générale : trouver l’innovation qui pourrait permettre de résoudre la question du réchauffement climatique.
L’hydrogène est un gaz déjà bien connu, qui a donné lieu à des recherches plus ou moins abouties dans le contexte d'hégémonie du pétrole. S’il représente un marché d’1 million de tonnes en France, les consommateurs sont le plus souvent les producteurs – principalement l’industrie – et la production est surtout carbonée (ex : procédé de vaporeformage du méthane). Les technologies de production d’un hydrogène décarboné sont, elles aussi, déjà connues (électrolyse) même si elles restent coûteuses . Mais les coûts de production devraient baisser avec son industrialisation à grande échelle. L’attractivité de l’hydrogène consiste aussi dans le potentiel de réindustrialisation de la France qu’il représente. En effet, cette industrialisation à grande échelle permettra de réinvestir nos territoires, de créer des emplois, de relancer l’économie vers une économie bas carbone, et de placer la France et l’Europe en champions dans le domaine.
La combinaison de ces facteurs fait de l’hydrogène un sujet qui se positionne aujourd’hui au cœur de la transition énergétique, mais pas seulement.
Diplômé de l'école d'ingénieurs l'ENSGTI de Pau, William Rahain a travaillé pour de grands groupes internationaux avant de rejoindre Teréga en 2010. Après avoir évolué sur des postes d'encadrement à la Direction des Opérations, il devient en 2018 Chargé d'études opportunités business au pôle Stratégie et Innovation. Ses sujets : le déploiement de l'hydrogène en France et en Europe, le Power to Gas et les systèmes multi-énergies. Il a ainsi participé à la phase pilote du projet Jupiter 1000 et apporte son expertise à la mise en œuvre de la Dorsale hydrogène européenne et des projets Lacq Hydrogen et Hygéo.
W. R. – En Europe, le sujet de l’hydrogène est très présent depuis quatre ou cinq ans, notamment en Allemagne qui a fait le choix d’arrêter son programme nucléaire et de passer à l’électricité renouvelable (solaire, éolien). Techniquement, l’expérience a montré que cette énergie était moins facilement pilotable, du fait de l’intermittence de la production électrique et de la difficulté de stocker l’électricité. Un réseau d’électricité alimenté par des énergies renouvelables entraîne ainsi des pertes : rien que pour l’Allemagne, on enregistre entre 1 à 2 Mds € non injectés par an ! Il faut donc trouver des alternatives complémentaires, comme le Power-to-Gas qui permet de valoriser le trop plein d’électricité pour produire de l’hydrogène, plus aisément stockable et transportable sur de longues périodes et de longues distances.
En Europe, aujourd’hui, le principal spot de consommation d’hydrogène comme vecteur énergétique se situe donc en Allemagne et au Royaume-Uni, parce que le mix énergétique de ces deux pays, et principalement leur production d’électricité, repose historiquement sur des énergies fossiles très carbonées (charbon) qui doivent être remplacées pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. La dynamique commence à se diffuser également en Italie et en Espagne, où le mix énergétique est également fossile mais moins carboné.
La France constitue une exception en Europe dans ce domaine car la part du nucléaire y est forte. Notre électricité est donc déjà décarbonée et sa production n’est pas soumise aux problèmes d’intermittence.
W. R. – En France, on favorise aujourd’hui davantage les usages électriques ou l’électrification des usages, puisque c’est une énergie déjà décarbonée. La conséquence est que, sur le plan national, c’est plutôt le sujet de la mobilité lourde hydrogène qui a constitué le cœur de la question car le transport est le plus gros émetteur de CO2 (environ 30%).
En 2018, une bascule s’est opérée avec le plan Hydrogène de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire qui a permis l’intégration de l’hydrogène comme énergie, l’inscription de l’hydrogène bas carbone dans la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) et la sollicitation des différents opérateurs d’infrastructures énergétiques afin d’étudier l’intégration de l'hydrogène dans les infrastructures . A suivi, la définition de l’H2 comme énergie dans la loi Énergie et Climat de 2019 et le lancement de travaux législatifs via l’Ordonnance Hydrogène.
Une volonté qui a été réaffirmée, fin 2020, avec la présentation d’une feuille de route nationale et d’un budget correspondant pour le développement de l’hydrogène décarboné en France, dans le cadre du plan de relance européen. Une ambitieuse stratégie d’investissements a été mise en place pour développer les technologies de production d’hydrogène décarboné par électrolyse de l’eau et le développement de mobilités lourdes à hydrogène (trains, avions, poids lourds…).
La France se positionne donc davantage sur l’industrialisation des technologies. Excepté la mobilité, les usages se feraient plutôt ailleurs pour l’industrie. En Allemagne principalement.
W. R. – L’enjeu principal pour la filière hydrogène est de trouver les usages, les consommateurs et les clients. Sans client, pas de marché et donc pas besoin d’électrolyseurs et d’usines.
Il s’agit d’une nouvelle énergie qui nécessite des adaptations plus ou moins lourdes de son équipement, que ce soit sa voiture ou sa chaudière pour le particulier, son four pour l’industriel, son camion ou son bateau pour le transporteur. Le prix de l’hydrogène renouvelable étant encore élevé, l’ajout du coût de remplacement de son équipement pour le particulier ou l’industriel peut être inenvisageable ou fatal.
Cependant les opportunités de développement des usages de l’hydrogène en France existent. Elles sont à développer au croisement des collectivités et industries afin de bénéficier de synergie et d’économie d’échelle :
pour l’industrie : production et usage d’hydrogène décarboné,
pour les collectivités : développement d’une nouvelle mobilité à l’échelle des territoires, en convertissant par exemple des flottes de véhicules à l’hydrogène.
La question des usages implique de produire de l’hydrogène décarboné à des prix compétitifs. Pour atteindre cet objectif, l’économie d’échelle est nécessaire.
En France, à l’automne dernier, le gouvernement a lancé un plan de 7,2 milliards d’euros de fonds publics pour faire décoller cette filière hydrogène décarboné. Et notamment les technologies de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, en vue de pouvoir proposer rapidement de l’hydrogène bas carbone ou renouvelable à moindre coût.
Ainsi, de nombreux industriels s’intéressent au sujet, que ce soit du point de vue de la production ou de la consommation. L’industrie lourde principalement, dont tous les processus ne peuvent être électrifiés, y voit une opportunité de décarboner ses activités. C’est aussi le cas des zones portuaires qui doivent trouver des solutions pour se décarboner.
Sur ce point, les raffineurs, mais aussi les acteurs dans le maritime ou l'aéronautique, sont également en train de réfléchir à la création de carburants renouvelables ou de synthèse produits à partir d’hydrogène (éthanol, kérosène de synthèse)… Ce carburant de synthèse pourrait permettre de décarboner les activités maritimes et aéronautiques, sans avoir à remplacer ces moyens de transport très coûteux que sont les bateaux et les avions.
W. R. – La question du développement des infrastructures pour transporter l’hydrogène renouvelable ou des collaborations sur toute la chaîne de valeur sont au cœur du sujet en Europe. Par exemple, l’Allemagne est consciente que, seule, elle ne pourra pas satisfaire ses besoins d’hydrogène décarboné. En 2020, elle a passé des accords avec le Maroc et la Tunisie quant au développement de la production d’hydrogène renouvelable à partir de leurs capacités solaires.
Mais comment transporter ensuite en masse cet hydrogène jusqu’au nord de l’Europe ? Le transport d’hydrogène liquéfié par bateau est possible, mais coûteux, car il faut maintenir une température de -260°C (vs -160°C pour le GNL). Développer un réseau de transport par canalisations constitue donc un véritable atout économique favorable à l’expansion de l’ensemble de la filière hydrogène. S’il y a une baisse du coût possible de transport, il y a un impact sur le coût final pour le consommateur. Par ailleurs, le développement d’un réseau européen d’hydrogène permettra de créer un véritable marché liquide qui intéresse beaucoup les gros consommateurs.
Depuis 2014-2015 et notre implication dans le projet Jupiter 1000, en collaboration avec GRTgaz – suivi en 2019 par le rapport inter opérateurs quant aux conditions techniques économiques d’intégration de l’hydrogène dans les infrastructures gazières –, Teréga a engagé une démarche active sur le sujet et notamment sur la compatibilité de nos infrastructures avec l’hydrogène. Car, il s’agit là d’un vrai enjeu : comment adapter notre réseau de transport et de stockage, notre métier historique, pour s’inscrire dans cette approche et favoriser son développement ?
Vue aérienne du site du démonstrateur de Power to Gas Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer
Nous participons ainsi au projet Lacq Hydrogen, dont l’objectif est d’étudier comment transporter et stocker de l’hydrogène depuis l’Espagne vers la France et plus précisément le bassin de Lacq, où il alimentera une centrale de production électrique renouvelable 100% pilotable. En effet, les pays d’Europe du Sud et d'Afrique du Nord disposent d’un important potentiel de production d’électricité solaire, favorable à la production d’hydrogène par électrolyse à un prix compétitif. C’est une première étape vers la construction d’un réseau hydrogène européen.
Le stockage d’hydrogène jouant un rôle essentiel pour résoudre la problématique d’intermittence des énergies solaires et éoliennes, nous avons également initié des projets qui visent à étudier les opportunités de stocker l’hydrogène en cavité saline (projet Hygéo), ou à en étudier l’impact sur nos stockages souterrains de gaz naturel (projet RINGS).
Enfin, sur le plan national, nous travaillons sur un projet de cartographie des zones propices à l’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel, afin de favoriser la naissance d’initiatives hydrogène locales.
W. R. – À l’horizon 2050, pour atteindre les objectifs de neutralité carbone qu’exige la transition écologique, le gaz naturel va être peu à peu remplacé par des gaz renouvelables et bas carbone : le biométhane, le méthane de synthèse, l’hydrogène décarboné. Dans cette perspective, Teréga et dix autres transporteurs de gaz européens ont présenté en 2020 un plan hydrogène (mis à jour en 2021), dans le cadre de la stratégie européenne, en vue de créer une “dorsale hydrogène”. Une démarche qui pourrait permettre à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone en 2050 en s’appuyant sur les infrastructures gazières existantes.
Le rapport sur la vision d’une “dorsale hydrogène européenne” – Hydrogen Backbone – prévoit, pour 2040, un réseau de près de 40 000 km reliant 21 pays européens avec quasiment 70% de gazoducs existants convertis.
Par ailleurs, Teréga s’est impliqué dans le projet HyDeal Ambition avec une trentaine d’acteurs de la filière, préfigurant la future filière européenne de l’hydrogène. L’ambition : fournir un hydrogène vert à un prix compétitif de 1,5€/kg, proche du prix des énergies fossiles.
Une démarche qui a fait l’objet de deux ans d’étude et de préparation pour un objectif ambitieux : produire, dès 2022, un hydrogène vert, issu de l’électrolyse de l’eau à partir de l’énergie solaire de la péninsule ibérique. L’ambition annoncée est de fournir, en 2030, 3,6 millions de tonnes d’hydrogène par an aux secteurs de l’énergie, de l’industrie et de la mobilité via les infrastructures de transport et de stockage de gaz.
Enfin, l’hydrogène va se développer en parallèle d’autres énergies renouvelables, venant ainsi constituer un mix énergétique bas carbone, plus diversifié et plus local. À ce titre, les réseaux de transport et de stockage de gaz évoluent vers des réseaux multi-énergies, qui feront appel à une nouvelle intelligence de gestion de cohabitation des diverses énergies du mix énergétique, à l’image du projet IMPULSE 2025 de Teréga. A ce titre, en tant que vecteur énergétique de référence, l’hydrogène est un élément déterminant des systèmes multi-énergies.