Urgence gaz 0 800 028 800
Si les différentes énergies sont aujourd’hui gérées en silos, le multi-énergies nous permet de penser un système énergétique global plus efficace, plus diversifié et plus local. Éclairage avec François Maréchal, Jean-Michel Reneaume et Éric Pourredon.
François Maréchal, Professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
Jean-Michel Reneaume, Directeur de l’École Nationale Supérieure en Génie des Technologies industrielles (ENSGTI)
Éric Pourredon, Responsable du service Transition énergétique de la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées
Éric Pourredon – En France, le système très centralisé est en train de changer, impacté par le développement des énergies renouvelables (EnR), la recherche d’une plus grande efficience et d’un système plus vertueux, basé sur un mix énergétique local. Les contraintes réglementaires, tel le Plan Climat Air Énergie Territoire pour les collectivités, formalisent les objectifs et engagements nécessaires vers le multi-énergies.
François Maréchal – La question recouvre des aspects de l’infrastructure énergétique : le système de gestion de l’énergie s’est basé sur l’énergie fossile et sa capacité de stockage. Demain, il faudra prendre en compte la gestion du flux carbone et des EnR. Le système multi-énergies interroge l’efficacité énergétique des systèmes.
Jean-Michel Reneaume – Il ne faut pas oublier le point d’origine : les ressources énergétiques que nous utilisons ne sont pas inépuisables !
J.-M. R. – Les EnR contribuent à changer les mentalités, les usages, mais aussi les besoins. Après quelques écueils, beaucoup d’entre elles ont apporté une réponse technique plus mature (solaire, pyrogazéification, méthanation, etc.), donc plus rassurante. En outre, le multi-énergies renforce la dimension locale initiée par les EnR.
F. M. – Si certaines EnR sont confrontées à la problématique du stockage et de leur caractère diffus et intermittent, le biogaz, lui, peut être considéré comme une énergie dense, stockable et connectée à d’autres réseaux. Si le flux de CO2 émis lors de sa production est valorisé, on peut même doubler la capacité d’énergie stockée. Un modèle circulaire déjà maîtrisé aujourd’hui. Autant dans les EnR que le multi-énergies, les notions de stockage, d’échange, de partage, de puissance, de garantie d’approvisionnement, d’efficience, sont au cœur de la démarche.
E. P. – L’enjeu des prochaines années est la maîtrise de la donnée énergétique, c’est la notion de « Smart city » via le développement des technologies de communication qui permettra à chacun d’être acteur dans le choix de ses énergies utilisées. Les nouvelles technologies offrent un vrai outil de management de l’énergie, tant pour les professionnels que pour l’usager. Elles virtualisent l’énergie et rendent plus accessible la diversification de son usage.
J.-M. R. – Auparavant, ce qui était limitant dans la conception de toute synergie énergétique, c’était justement les dimensions technologiques. Aujourd’hui, une approche multi-énergies, qui impliquerait des systèmes à gérer de très grande taille, peut s’appuyer sur l’Intelligence Artificielle (IA), le data learning ou encore le data mining pour exploiter énormément de données.
F. M. – Ces technologies sont essentielles, car elles vont permettre à un système multi-énergies d’être de plus en plus prédictif, pour une gestion plus efficace : les demandes en énergie, les ressources, les diagnostics, les pannes, la juste combinaison des énergies, etc. C’est aussi en cela que l’on peut parler de Smart Gas Grids pour le réseau gazier.
F. M. – L’un des principaux enjeux, et non des moindres, est de restructurer tout un secteur, de rediriger les investissements, de privilégier la création d’emplois locaux. Cela revient à repenser un système global : les aspects techniques, les nouveaux métiers, les nouveaux business, le droit de l’énergie, une nouvelle responsabilité des États pour garantir un accès équitable mais avec des approches nouvelles. Une vraie révolution.
J.-M. R. – À ce titre, les phases de conception et de méthodologie sont essentielles. Il faut penser la dimension du réseau, du stockage, de la conversion, etc. Car un modèle multi-énergies favorise les ponts entre les différents vecteurs en fonction des besoins, de la ressource primaire.
E. P. – L’envergure de ce changement fait que le multi-énergies repose sur deux notions clés : confiance et transparence. Pour chaque acteur énergéticien, cela implique de remettre en cause son mode de fonctionnement, mais aussi de dépasser la mise en concurrence passée pour privilégier la transparence sur la gestion de la donnée énergie, au profit du consommateur et de la réponse aux enjeux climatiques.
F. M. – Si l’on conçoit le multi-énergies comme une transformation du modèle de société, tout le monde sera concerné. En effet, au-delà des métiers de l’énergie, cette approche plus efficiente pourrait impliquer une redéfinition de certains métiers : maçons, ingénieurs, architectes, fabricants, techniciens, et même banquiers.
E. P. – À court terme, le multi-énergies devrait d’abord toucher le monde industriel, comme une réponse au sujet de l’écologie industrielle : zones et grands sites industriels, sites de traitement des déchets… Mais aussi les collectivités.
J.-M. R. – Cela peut être pertinent au niveau d’un quartier, d’une ville, d’un territoire, avec des synergies par zones d’activités telles que les hôpitaux, les piscines, les écoles. À ce titre, dans nos approches de modélisation, on intègre des points liés aux questions de comportements.
E. P. – Car au bout de cette démarche, il y a le consommateur/citoyen. Le multi-énergies peut favoriser un sentiment d’appartenance à un projet plus « local », rompre dans une certaine mesure avec les discours climatiques essentiellement culpabilisants, voire initier de nouvelles responsabilités.